Bureau plat à la grec estampillé DUBOIS

Ebénisterie Mathieu Vath
Ebénisterie Mathieu Vath
A son arrivé à l’atelier

Un bureau, une estampille, trois ébénistes ?

Le bureau que l’on s’apprête à découvrir, un chef-d’œuvre de l’ébénisterie française, incarne à lui seul l’aboutissement du goût néoclassique du XVIIIe siècle. La question qui surgit immédiatement à la contemplation de cette pièce d’exception est : pourquoi trois ébénistes pour un seul bureau ? La réponse réside dans l’interaction complexe entre succession, talent, collaboration et opportunisme, qui caractérise l’artisanat de l’époque.

Ce bureau plat, dit « à la grecque », est un exemplaire parfait du style Louis XVI. Réalisé dans un mélange harmonieux de marqueterie d’amarante, de satiné, de bois de violette et de filets de bois clair, il ouvre par trois tiroirs en ceinture, dont un secret, et se distingue par son décor raffiné de frises à la grecque ponctuées de rosaces tournoyantes en bronze ciselé et doré. Son plateau, revêtu d’un cuir, est encadré d’une lingotière en bronze doré. Ce bureau repose sur quatre pieds droits fuselés, décorés de guirlandes de lauriers en corde à puits et terminés par des sabots de bronze doré. Ses deux tirettes latérales ajoutent une touche de praticité à une esthétique déjà parfaitement maîtrisée. C’est une œuvre d’une grande sobriété, dont les formes géométriques rappellent l’influence de l’Antiquité et des voyages en Italie. Il est estampillé de Jacques Dubois.

Jacques Dubois

Né à Pontoise vers 1693, il est l’un des plus grands ébénistes parisiens sous le règne de Louis XV. Longtemps ouvrier libre au faubourg Saint-Antoine, il obtint sa maîtrise en 1742 à l’âge de quarante-neuf ans et poursuivit une brillante carrière pendant près de vingt ans rue de Charenton. Ébéniste du Roi, il travailla pour la grande noblesse. En 1752 il devint juré de la corporation des Menuisiers-Ebenistes dont le rôle était de juger de la qualité des meubles produits par ses confrères. En 1763 il fut chargé d’évaluer le patrimoine laissé par Jean François Oeben. Et après sa propre disparition quelques mois plus tard, on fit l’inventaire de ses réalisations afin d’évaluer l’influence de son travail dans le développement du style Louis XV. Son atelier rue de Charenton sera repris par son fils René en 1763 qui poursuivra l’œuvre de son père pendant encore une vingtaine d’années en jouissant lui aussi d’une réputation élogieuse.

Ebénisterie Mathieu Vath

Bien qu’il porte l’estampille de Jacques Dubois, ce bureau n’a pas été réalisé de sa main, car si l’on se fie aux sources d’autres bureaux similaires à celui-ci qui sont tous datés de 1765 à 1770, Jacques Dubois était décédé depuis au minimum trois ans. Car c’est son fils René qui a repris sa succession tout en conservant l’estampille de son père.

René Dubois

(1737-1799) Menuisier-ébéniste. Paris.Maître le 25 juin 1755. ébéniste de la reine en 1779. Il signa ses ouvrages avec l’ancien poinçon paternel. I.DUBOIS.

Fils et élève de Jacques Dubois, René Dubois reprend, en 1763, l’atelier paternel rue de Charenton et s’associe avec sa mère. Quoique ayant obtenu très jeune sa maîtrise il continua d’employer l’estampille de son pére. En 1779, « L’Almanach Général des Marchands » le mentionne comme ébéniste de la Reine. Ses productions sont trés importantes jusqu’en 1780 année de l’acquisition d’un magasin rue Montmartre, magasin uniquement consacré à la vente de meubles. Il cesse ses activités au début de la Révolution.

René Dubois, ébéniste, Bureau plat, Paris, vers 1775 – © Les Arts Décoratifs / photo : Jean Tholance

Ainsi, il est troublant de retrouver l’estampille de Dubois sur un bureau portant toutes les caractéristiques de trois bureaux similaires en tous points de structure à ceux exécutés par Philippe-Claude Montigny.

Bureau plat « à la grec » en marqueterie d’époque Louis XV, vers 1765-1770 estampillé C. Montigny et JME. photo Sotheby’s

Philippe-Claude Montigny

Reçu maître ébéniste en 1766, est l’un des grands artisans responsables de cette réalisation. Établi près de la Bastille dans les ateliers de son père, il a su s’impliquer dans la fabrication de ces bureaux plats d’exception, souvent avec l’aide de son cousin René Dubois. Ce modèle particulier, que l’on trouve estampillé indifféremment de Montigny ou Dubois, met en lumière la collaboration entre ces deux maîtres, souvent associés dans la production de meubles pour les plus grands collectionneurs et marchands de l’époque, comme Simon-Philippe Poirier.

Bureau Estampillé Montigny et JME – Photo Coutau Bégarie et associés – vente du 3 juin 2022 –

Il n’est donc pas surprenant qu’un même modèle puisse être l’œuvre de plusieurs mains. Philippe-Claude Montigny, reconnu pour sa maîtrise du style néoclassique et de l’utilisation des bronzes de qualité, est le principal auteur de ce bureau. Mais la présence de René Dubois et la participation éventuelle de Poirier, marchand-mercier de renom, dans la commande et la distribution de ces meubles ont également contribué à la création de cette pièce magistrale. L’un des exemples les plus remarquables de cette collaboration est le bureau livré en 1765 au comte de Coventry, qui ressemble fortement à celui présenté ici.

BIBLIOGRAPHIE

  • Le Mobilier Français du XVIIIème Siècle – Pierre Kjellberg – Les Editions de l’Amateur – 1989
  • Les ateliers parisiens d’ébénistes et de menuisier aux XVIIe et XVIIIe siècles – Guillaume Janneau – Éditions Serg – 1975
  • Les ébénistes français de Louis XIV à la révolution – Editions du Chêne – 1989 – Alexandre Pradere
Philippe Claude Montigny. Bureau plat «à la grecque» en placage d’ébène, bois noirci et laiton, Daguerre 16 juin 2020 Drouot

Constat d’état

La structure du bureau était en bon état d’apparence, pas de jeu dans les assemblages, les tiroirs ainsi que les tirettes fonctionnaient parfaitement. Quelques manques de placages de ci de là. Les grosses altérations résidaient donc, dans le fort encrassement meuble et des garnitures de bronzes, le décollement de la quasi-totalité des plaquettes rapportées qui ne tenaient en réalité que par les vis et clous des bronze, et… la modification du plateau! En effet celui-ci avait été plaqué d’une frise d’acajou chenillé lors d’une restauration précédente, ce qui dénaturait totalement avec les autres exemples cités précédemment.

La restauration

Après avoir déposé et établi l’ensemble des bronzes, une grande partie des plaquettes rapportées ont été recollées à la colle de poisson. S’en sont suivis les recollages et les restitutions de placages collés à la colle chaude. Le cuir a été déposé ainsi que le placage d’acajou du plateau. Les espaces dus au retrait dimensionnelle des planches du plateau ont été comblées par un bois de même essence ( conifère) et collées à la colle de poisson.

Les recollages et les restitutions de placage ayant été parfaitement réalisés sans désafleur, un gel de solvant a été appliqué afin de retirer la finition à la gomme laque afin de pouvoir réaliser un poli à la cire plus en adéquation avec la finition d’origine.

Après leur nettoyage par ultrason, des bronzes ont été reposés à leur emplacement d’origine. Puis un cuir ancien restauré et patiné a été posé sur le plateau. Une nouvelle clé carrée (clé d’horlogerie) a été ajusté aux serrures.

Cette restauration à permis de stabiliser, restituer, nettoyer et harmoniser ce témoin de la collaboration de plusieurs hommes à l’avant-garde de leur époque.

Ebénisterie Mathieu Vath
Après restauration

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