Commode Rochelaise en « bois des Isles »

Ebénisterie Mathieu Vath

Retour sur la restauration de cette rare commode de port fabriquée dans des bois massifs ramenés à la fois d’Orient et des Antilles et combinant quatre bois précieux : l’acajou, le satiné, le Palo Santo, l’ébène et enfin et principalement un cinquième bois l’ébène Royale.

Cette commode ouvre par trois larges tiroirs sur trois rangs en Palo Santo intercalés de traverses en ébène de Ceylan et est couverte d’un plateau massif à cadre composé d’un parquetage principalement animé des traverses en ébène Royale sur fond d’acajou (certaines parties mouchetées ou pommelées) avec deux alaises en satiné rubané. Les quatre montants, décreusés de moulure et ponctués de pieds à volutes, sont également en ébène Royale massif, les deux montants antérieurs présentant les plus belles figurations, et de même pour les quatre panneaux des côtés intercalés de traverses en ébène de Ceylan.
Les tiroirs sont ornés de poignées de tirage et entrées de serrures Louis XV ciselés et dorées.
Les caissons de tiroirs sont en aulne et le dos en sapin, ces bois de second emploi choisis pour leur légèreté, et on remarque l’absence de planchers intermédiaires, ceci très probablement pour ne pas augmenter encore le poids de ce meuble, se rapportant pour 90 % de sa composition aux trois bois les plus lourds au monde. En effet si l’acajou est réputé comme un bois pesant, sa densité se situe seulement entre 0,73 et 0,76, tandis que les gaïacs, les ébènes et les satinés comptent parmi les seuls bois dont la densité est supérieure à 1 (entre 1,17 et 1,33 pour les gaïacs, certainement le bois le plus lourd au monde, entre 0,95 et 1,10 pour les ébènes d’Asie, bois moins lourds toutefois que ceux d’Afrique qui sont les seuls à approcher la densité du gaïac, entre 1 et 1,10 pour les satinés, bois dont on ignore généralement le poids du fait de sa méconnaissance en massif).

Le palo Santo du Brésil.

Ce bois odorant aux propriétés médicinales de la famille des Zygophyllacées tire son nom de « bois sacré » de son utilisation par les chamans incas lors des cérémonies. De couleur brun tirant sur le noir sur fond de veines jaunes, ce bois résistant aux xylophages est aussi nommé « quebracho » (qui brise) en Amérique de Sud en raison de sa dureté, tant à l’abattage qu’au sciage.

L’acajou de Saint-Domingue.
L’acajou (Swietenia mahagoni) utilisé pour la fabrication de la majeure partie des meubles de port. C’est un bois précieux de couleur brun rouge, très durable et résistant aux xylophages. Il est considéré comme l’un des meilleurs bois au monde.

Le satiné rubané de Guyane.
Débité sur quartier, ce bois précieux (Brosimum rubescens) et odorant, également parfaitement durable et résistant aux xylophages, est de couleur brun rosé à rouge et présente un contrefil bien marqué qui lui confère un beau rubanage avec des surfaces radiales qui accrochent la lumière.

L’ébène noire de Ceylan.
C’est l’ébène des Indes (Diospyros ebenum), le bois précieux par excellence employé par A. C. Boulle, dite ébène noire ou Coromandel, en provenance de Ceylan, la plus belle des variétés d’ébène noire, qui se distingue de celles de Macassar et de Madagascar, du Gabon ou du Mozambique. Bois très lourd et très dur, au grain fin dont le cœur est d’un noir profond avec présence de petites « lunes » rousses.

L’ébène Royale des îles Andaman et Nicobar.
Ce bois extraordinaire est davantage connu sous le nom d’ébène Royale du Laos (Diospyros malabarica), mais celui qui nous intéresse ici, Diospyros marmorata, est d’une variété plus rare encore provenant des îles Andaman et Nicobar, deux îles situées au large oriental de Ceylan.
Son bois parfait (ou bois de cœur) est marbré de noir.

Ebénisterie Mathieu Vath

Une brève histoire de ces bois et de leur utilisation

Dans les ports français de la façade atlantique au XVIIe siècle, les bois des îles sont utilisés dans un premier temps pour la restauration des bateaux, puis les billettes ramenées par les marins et négociants vont être confiées aux menuisiers et charpentiers de marine qui élaborent les premières techniques de découpe et de façonnage de ces bois. Les menuisiers-ébénistes, qui ne savent pas toujours comment les travailler, vont se réapproprier les techniques navales pour en faire des meubles parfois entièrement démontables avec un usage en mer puis à terre, et l’adaptation des outils, par l’élaboration de fers trempés spécifiques à ces essences se généralise. Le corroyage des panneaux est assez sommaire, voir un peu frustres. Les premières traces de recours à ces bois se fait par l’utilisation de bois de revente ou de réemploi. Il s’agit de bois qui ont eu une première vie le plus souvent comme bois de charpente de navire, courbaril et acajou, et éventuellement d’architecture. Le bois de revente ou de réemploi est celui constitué par le démantèlement d’un navire. Il est prévu selon les « Arrests du Conseil du Roy » des 26 mars 1691 et 27 novembre 1693, rappelés le 9 mars 1782, prévoyant qu’un navire en fin de vie peut être démembré et vendu : « les bois ayant subi la pourriture ou les atteintes des parasites iront dans l’âtre. Mais les parties en bois tropicaux sortiront intactes de ces meurtrissures, et seules laisseront des traces les pièces de fer d’assemblage ». Il est bien sûr conseillé au menuisier de dissimuler « de son mieux ces traces […] qui ne seront plus que de discrets témoins sur les meubles qui sortiront de son atelier ». Cependant, il faut attendre, sur la façade atlantique française, le début du XVIII siècle pour voir l’émergence d’une production significative de meubles massifs confectionnés avec du bois d’œuvre et non de réemploi.

Bibliographie

  • MALFOY, Louis, Le meuble de port
  • MALFOY, Louis, « De la Marine royale aux meubles dits “de port”… ou la “petite” Histoire des bois de Guyane au 18ème siècle», Bois et Forêts des tropiques, CIRAD, vol. 220, 1989, p. 13, disponible sur : https://revues.cirad.fr/index.php/BFT/article/view/19637
  • Véronique Jandon-Gabard  Le mobilier en bois des îles un savoir-vivre atlantique (1680-1830). Ports de Saint-Malo, Nantes, La Rochelle et Bordeaux. (Thèse présentée et soutenue à Nantes, le 19 novembre 2021 )
  • Antiquités Philippe Glédel Commode rochelaise en ebene royale
Ebénisterie Mathieu Vath
Contre-parement du plateau

La restauration

Le travail de restauration sur cette commode a consisté principalement à recoller à la colle de poissons les différents éléments du plateau. Une finition en poli Roubo a été appliquée afin de rester au plus proche de la finition d’origine.

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Démontage des différents éléments
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Après restauration
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