Commode Esterházy

Ebénisterie Mathieu Vath

Restauration de ce meuble atypique qui nous vient d’Autriche/Hongrie. Il faut dire que j’ai eu un peu de mal à situer géographiquement ce meuble. Il était évident qu’il ne s’agissait pas d’un meuble provenant de France mais plutôt de l’est de l’Europe. Mais où? Heureusement, les gravures nous donnent de précieux indices, les tenues correspondent bien à la fin et début du XVIIeme/XVIIIeme siècle. Les paysages sont composés de montagnes, de villages ; la végétation est composée d’arbres feuillus et de conifères et l’on aperçoit plusieurs ruines de châteaux médiévaux. Donc, ce n’est pas la région Nord/Est mais plutôt la Bavière, l’Autriche/Hongrie.

Ebénisterie Mathieu Vath

Heureusement plusieurs indices vont nous donner la provenance exacte de cette commode et surtout la famille à laquelle elle a appartenu : La maison Eszterházy.


Premier indice : Le château de Forchtenstein

Ebénisterie Mathieu Vath
(A droite) Etiquette d’inventaire du château de Forchtenstein

Situé au sud-ouest de Mattersburg au-dessus de la vallée de la Wulka,  la première partie du château avec le bergfried haut de 50 m est construite au début du XIVe siècle par les seigneurs de Mattersdorf, qui deviennent plus tard seigneurs de Forchtenstein.

Vers 1450, les seigneurs de Forchtenstein meurent sans descendants masculins. Les Habsbourg héritent du château pendant 170 ans et s’engagent, notamment, envers les comtes de Weißbriach et Hardegg. En 1622, Nicholas Esterházy, reçoit le château de la part de l’empereur Ferdinand II, et les Esterházy reçoivent le titre de comte. Nicholas commence par agrandir le château délabré et en fait une forteresse. Il achève ces travaux entre 1630 à 1634 avec le maître d’œuvre viennois Simone Retacco et à partir de 1643 avec Domenico Carlone pour la reconstruction du château.

Son fils Paul poursuit la construction du château dans la seconde moitié du XVIIe siècle selon les plans de l’architecte Domenico Carlone, en mettant l’accent sur la conception artistique. L’ancienne forteresse devient un lieu de stockage pour les armes, les  archives princières et la collection princière d’horloges, d’automates, d’animaux exotiques naturalisés et d’autres objets de cabinet de curiosité. La prétendue  chambre du trésor et du miracle n’est accessible que par un passage secret ; la porte ne peut être ouverte qu’avec deux clés différentes. L’une est gardée par le prince et l’autre par le trésorier.

Aujourd’hui Le château appartient à la fondation privée Esterházy et montre l’histoire et les trésors de cette famille.

Le château de Forchtenstein

Second indice : Le Palais d’Esterházy

Grace à une seconde étiquette d’inventaire nous pouvons suivre chronologiquement les déplacements de cette commode. Commandée donc probablement à la fin du XVIIeme ou au début du XVIIIeme siècle par un membre de la famille Esterházy pour le château de Forchtenstein, elle se retrouve en 1936 au palais Esterházy à quelques kilomètres de Forchtenstein.

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Etiquette du château d’Eisenstadt le Palais Esterhatzy 1936

Le Palais d’Esterházy est situé à Eisenstadt, la capitale du Burgenland, le land autrichien situé le plus à l’est du pays, et se trouve à seulement 57 km au sud de la ville de Vienne.

En 1763, le prince Nicholas Ier Esterhazy ordonna de rebâtir son palais datant de 1721. Deux architectes travaillèrent à ce projet : Johann Ferdinand Mödlhammer, d’abord et, à partir de 1765, Melchior Hefele. La construction fut achevée en 1766. Le château comprend 126 pièces soigneusement décorées. Avec ses nombreuses fenêtres, ses jardins et ses statues, il est considéré comme un Versailles à la hongroise. Nicholas avait en effet visité Versailles en 1764. On peut cependant voir aussi des influences autrichiennes dans ce bâtiment, notamment celle de Schoenbrunn.

Le palais Esterházy, situé à une position évidente dans la ville d’Eisenstadt, capitale du Burgenland, figure parmi les plus beaux palais baroques d’Autriche. Autrefois, lieu de naissance et résidence des membres de la noblesse importante, sa construction séduit en particulier grâce à la salle Haydn et à la salle de l’Empire, le petit salon chinois ainsi que la chapelle du palais où les reliques sont dans des cercueils en verre.

Le Palais Esterhatzy 

Troisième indice : Une enveloppe coincée derrière un tiroir

Par chance, la découverte de cette enveloppe permet de situer précisément la position très récente, (le timbre est en euro), de cette commode et permet de connaître son propriétaire.

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Adresse sur l’enveloppe

Le château Esterhazy à Edelstetten en Bavière contient les Archives du prince Esterhazy de Galantha.

Le château Esterhazy à Edelstetten

La maison Esterházy

Paul Ier Esterházy

Issue de la petite noblesse de Haute-Hongrie (actuelle Slovaquie), la famille Esterházy tire ses origines de l’ancien clan Salomon qui remonte au XIIe siècle.[réf. nécessaire]

Le premier ancêtre connu de la famille Esterházy est Benedek Zerhas de Zerhashaz qui prendra plus tard le nom de Eszterhás de Galántha, mort dans la première partie du XVIe siècle.

Elle compte à partir du XVIIe parmi les familles de magnats les plus importantes du royaume de Hongrie, de l’empire d’Autriche puis de l’Empire austro-hongrois. Traditionnellement favorable à la dynastie des Habsbourg, elle reçoit le titre de baron en  1613, celui de comte en 1626 puis la branche de Fraknó/Forchtenstein celui de prince régnant (Fürst) en 1712 par l’empereur romain germanique.

L’achat par l’État hongrois de la collection réunie par la famille Esterházy marqua en 1870 la fondation du musée d’art étranger de Budapest.

Sophie Mária Josepha, princesse von und zu Liechtenstein, comtesse Esterházy von Galántha, connue comme la « comtesse Esterházy » (née le 5 septembre 1798 à Vienne, morte le 17 juin 1869) fut dame de compagnie de l’impératrice Élisabeth de Wittelsbach, dite « Sissi ».

Karoline Esterházy de Galántha (1805-1851), en français : fut l’élève au piano du compositeur Franz Schubert, à Zselíz en Hongrie (aujourd’hui Želiezovce en Slovaquie) et à Vienne.

L’écrivain Péter Esterházy, né en 1950, est un membre de la branche comtale de la famille princière.

Les Esterhazy qui ont pu commander cette commode : 

  • Paul Ier Esterházy (1635-1713), comte puis prince Esterházy de Galántha, également connu comme poète et compositeur, chef de la famille à la mort de son frère aîné Ladislas en 1653
  • Michel Esterházy (1671-1721), fils du précédent
  • Joseph Esterházy (1687-1721), frère du précédent

Scènes gravées de gauche à droite en partant du tiroir du haut

Ebénisterie Mathieu Vath
Un noble descendu de son cheval demande où est son chien à un prêtre qui lui indique de la main droite. Il est accompagné de soldats (ou chasseur) armés de lances et tenant des chiens en laisse. On aperçoit dans un paysage de montagnes un château et un village. Très probablement le château de Fochtenttein.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de bataille : Un cavalier en premier plan, accompagné d’autres cavaliers, tient son épée en direction du champ de bataille et semble donner ses ordres. En second plan, on aperçoit la cavalerie et l’infanterie en ordre de bataille avec des volutes de fumées de tirs de mousquets.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de chasse à courre au cerf : On aperçoit un clairon, des chiens, des cerfs sautant une clôture, un cavalier tirant au fusil, d’autres cavaliers discutant.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de chasse au sanglier : Un homme salue un personnage assit sur un banc avec sa compagne. Un laquais tient un parasol tandis qu’une femme s’évente en arrière plan discutant avec deux autres personnages. On aperçoit un carrosse tiré par quatre chevaux  et des sangliers courant en premier plan, ainsi qu’un homme tirant un sanglier mort. Des chiens sont attachés en premier plan.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène champêtre : Un cavalier revient de la chasse et est salué par un paysan. Derrière lui, un servant tient deux chiens en laisse et porte le fruit de sa chasse : un lièvre.
En second plan, on voit une femme lavant son linge à la rivière puis une vachère accompagnant ses animaux, un berger gardant ses moutons. Dans le font, on aperçoit un village et les ruines d’un château.
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Scène champêtre : Un vacher sonne la corne pour appeler ses bêtes, un cavalier fait boire son cheval à la rivière. En fond, un village avec son église et ses fermes.
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Scène de bagarre :  Des hommes se battent et sont retenus par leur femme. Paysage boisé avec un village en fond.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène champêtre : En premier plan, deux hommes accompagnés d’un chien, portent une marmite. Près d’un arbre, un homme tend des fleurs à une femme qui lui donna un coup de pied dans le postérieur. Trois personnes âgées ( ils ont une canne) se promène et enfin un homme urine le long d’un mur.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de la vie quotidienne : Des jeunes gens se tiennent devant une auberge et tendent leur verre à un aubergiste qui tient un pichet . Un second personnage tient un plat avec un poulet cuit. On aperçoit le blason de l’auberge et des maisons en fond.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de la vie quotidienne : Des personnages en train de boire à une table invite un autre personnage que l’on ne voit que de dos, et qui est dissimulé par une cape. En arrière plan, un village et la montagne.
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Scène de chasse à l’ours :  Au premier plan, un cavalier tire sur un ours qui est en train d’attaquer un autre cavalier, deux autres chasseurs tirent sur l’ours et des chiens se jettent dessus. En arrière plan, deux cavaliers armés de lance pourchasse un ours.
Ebénisterie Mathieu Vath
Scène de chasse au loup :  En fond le château de Forchenstein.

Constat d’état

A son arrivée à l’atelier, cette commode présentait plusieurs altérations classiques. Un manque important de filet d’étain, dont ceux des côtés et du dessus qui avaient été bouchés à la cire, des manques de placages et marqueterie d’étain, un décollement total des éléments d’étain et pour finir les pieds boule sont manquants.


La restauration

La restauration a donc consisté à déposer l’ensemble des marqueteries d’étain, étape extrêmement facile puisque qu’il suffisait simplement de les soulever avec une lame fine : ceux ci ne tenant que par action mécanique et au reste de mastic se trouvant dans les joints de la marqueterie.

Ensuite les éléments d’étain manquants ont été découpés au chevalet de marqueteur.

Ebénisterie Mathieu Vath

Puis, ils ont été collés à la colle de poisson sur le bâtis et mis affleuré à la lime et au racloir afin de ne pas avoir à toucher aux éléments anciens et ainsi éviter de toucher à ces magnifiques gravures. Enfin, le reste de la marqueterie a été recollée à la colle de poisson, et avec une colle ré-hydratante pour les placages de fond en bois. Un système de cale dure/cale molle a été utilisé afin de compenser les différences de planéité des façades de tiroir. Un apport de chaleur de 40 degrés a été fourni afin d’activer la régénération des colles anciennes.

L’ensemble des filets de laiton ont été recollés et les filets manquants ont été restitués. Les manques de placage de noyé ont été restitués avec du placage de 3 mm raclé et poncé avant collage à la colle de mammifère. De nouvelles clé ont été ajusté. Le meuble a ensuite été remis en teinte puis vernis au tampon incolore.

Ebénisterie Mathieu Vath

Pour voir les restaurations précédentes : https://ebenisterie-mathieuvath.fr/en-ce-moment-a-latelier/

Vous pouvez retrouver ce meuble chez Etienne Thuriet Antiquaire

4 thoughts on “Commode Esterházy

      1. En vous remerciant pour le partage de toutes ces informations historiques et techniques : bravo pour cette étude et les éléments techniques qui sont conformes à la déontologie de la restauration.

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